L'élevage d'insectes : un ver dans le fruit de l'innovation française ?

Tribune publiée dans Les Echos le 6 Novembre 2024

L'élevage d'insectes est en difficulté, comme en témoignent les déboires de la start-up Ynsect. Malgré ses débuts prometteurs, la filière se heurte au rejet des consommateurs et est moins durable que prévu, prévient Corentin Biteau, président de l’ONEI.

Le leader du secteur en difficulté

La récente procédure de sauvegarde du leader de l'élevage d'insectes Ÿnsect témoigne de profondes difficultés financières et questionne l'avenir du secteur en France. Depuis sa création en 2011, ce symbole de la French Tech avait levé 600 millions de dollars avec le soutien massif de Bpifrance et de l'État français. L’année dernière pourtant, la start-up était contrainte de licencier 20 % de ses effectifs et de fermer son usine néerlandaise.

Les débuts semblaient prometteurs. Un rapport de la FAO sorti en 2013 présentait l'élevage d'insectes comme une solution potentielle aux défis environnementaux liés à l'élevage conventionnel, responsable de 20 % des gaz à effet de serre mondiaux et pointé pour être la plus grande cause de déforestation. La France, qui abrite des acteurs majeurs comme Ÿnsect et Innovafeed, s'était alors positionnée à l'avant-garde de ce secteur. Mais des études récentes, dont certaines coécrites par l'Observatoire national de l'élevage d'insectes (ONEI), révèlent une réalité bien plus nuancée.

Des difficultés économiques

Sur le plan économique, la filière affronte des obstacles significatifs. La farine d'insectes a un coût deux à dix fois plus élevé que celui des aliments conventionnels pour animaux d’élevage. C’est un frein majeur à l'adoption de ces produits. En outre, plusieurs entreprises importantes ont récemment connu des difficultés financières, illustrant la fragilité économique du modèle et suscitant un scepticisme croissant parmi les investisseurs.

Comme l’observait dans un rapport de 2023 Michael Badeski, cofondateur d’une entreprise asiatique d’élevage d’insectes, les rares installations à grande échelle n’ont pas tenu leurs promesses et peinent à produire la quantité ou la qualité de protéines d'insectes annoncées. La plupart des entreprises du secteur font face à de sérieux défis structurels et technologiques. Bien que certaines innovations, comme des insectes génétiquement modifiés pour accélérer leur croissance, soient en cours de développement, elles ne sont pas encore disponibles à grande échelle.

Des bénéfices environnementaux remis en question

D’un point de vue environnemental, les bénéfices initialement annoncés sont à tempérer. Contrairement aux attentes, le recours aux déchets alimentaires pour nourrir les insectes reste limité, principalement en raison de contraintes logistiques, réglementaires et sanitaires. La majorité de ces élevages utilise donc des coproduits agricoles à base de céréales, entrant ainsi en concurrence directe avec l'alimentation animale conventionnelle, voire humaine, ce qui les rend souvent plus impactants pour l’environnement.

Même son de cloche pour les aliments ciblant les animaux de compagnie, qui représentent plus de la moitié du marché. Une étude de 2021 estime que les produits à base d’insectes émettent deux à dix fois plus de gaz à effet de serre que les aliments traditionnels, souvent composés de sous-produits d'abattoirs.

Le créneau de l’alimentation humaine n’est pas plus engageant, car la substitution de viande par des insectes se heurte au rejet des consommateurs. Sa part de marché est considérée comme négligeable. Comparés aux alternatives végétales, en forte croissance depuis dix ans, les insectes ont une acceptabilité bien plus faible et un impact environnemental plus fort.

Quel soutien à la filière avec des fonds publics?

Face à ces déboires, comment ne pas douter de la pertinence d’investissements publics massifs dans une industrie dont la viabilité à long terme est incertaine ? Une industrie qui de surcroît a bénéficié des recherches de l’INRAE. Une industrie qui s’avère aussi fort vulnérable à la délocalisation, remettant en cause une éventuelle contribution à la souveraineté alimentaire. Car les insectes ont besoin de températures comprises entre 25 et 30 °C pour grossir rapidement. Les pays qui disposent d’une main-d'œuvre moins chère et d’un climat plus chaud ont donc des chances d’être bien plus compétitifs économiquement que la France.

D’autres solutions offrent des perspectives plus prometteuses et moins risquées pour atteindre nos objectifs de durabilité et de sécurité alimentaire, comme la réduction de la consommation de protéines animales via le soutien à la recherche d’alternatives végétales. Selon l’Agence de la transition écologique ADEME, la surface agricole mobilisée pour nourrir les Français passe du simple au quadruple entre un régime végétal et un régime très carné.

Alors que le discours des entreprises du secteur est en décalage avec la réalité scientifique, il est à craindre que l’élevage d’insectes serve d’outil de greenwashing. Avant la poursuite d’investissements massifs, il faut d’urgence prendre en compte les réalités économiques : le soutien à la filière avec de l’argent public est un pari trop risqué dans un contexte de dette budgétaire.